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- La musique Gnaoua -
Historique :
Depuis le Moyen Âge et jusqu'au début du XIXe siècle, les caravanes venant de
Tombouctou apportèrent avec elles leur lot d'esclaves originaires d'Afrique
sub-saharienne : Soudan, Haut Niger et Mali.
Implantés au Maroc mais aussi à un degré moindre en Algérie, en Tunisie et en Libye,les Gnaoua
ont constitués des confréries qui pratiquent des rituels de transe curatifs et thérapeutiques.
Celles-ci conservent encore de nos jours un dialecte particulier et se réclament d'un même ancêtre noir, Sidna Bilal, compagnon du prophète Mohammed, d'origine
Ethiopienne mais né en esclavage à La Mecque.
C'est à ce premier muezzin de l'Islam qu'est attribué l'origine des activités rituelles des Gnaoua.
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- Les Croyances -
Les Gnaoua sont considérés comme les intermédiaires entre le monde du réel peuplé d'humains,
et du surnaturel peuplé de génies appelés Djnoum.
Ces génies vivent en sociétés à l'image de celles des humains et possèdent grâce à leur don
d'ubiquité et de polymorphisme, des pouvoirs occultes pouvant infléchir le cours des évènements
et la destinée des hommes.
Ainsi les Djnoum sont-ils capables de détériorer l'intégrité mentale et physique des êtres humains.
D'autres génies, les Rijal Allah (les hommes de Dieu), issus de la rencontre entre de génies
du soudan (les Mlouk) et de génies arabes et berbères sont eux aussi vénérés par les
confréries Gnaoua sous l'égide de Sidna Bilal.
- La thérapie Gnaoua -
Ainsi, les Gnaoua proposent-ils à leurs adeptes, de pouvoir s'affranchir de l'assujettissement
envers les génies. A l'issue d'un long processus initiatique au sein de la confrérie, le sujet
pourra bénéficier de la protection du génie évoqué en contrepartie de différentes formes d'offrandes.
La thérapie Gnaoua cherche donc à établir une alliance stable entre l'initié et son génie-maître.
Il s'agit là d'adorcisme à l'encontre de l'exorcisme qui vise au contraire à rompre le lien
de possession existant entre l'esprit mécréant et la personne souffrante.
- La Lila, rituel magico-religieux -
Cette cérémonie nocturne constitue le noyau central du processus thérapeutique de guérison.
Durant une dizaine d'heures, du coucher au lever du soleil, la Lila va rassembler le
Maallem, les musiciens-danseurs, la Moqaddema, des adeptes et même des sympathisants de la
confrérie. Elle peut se dérouler dans le sanctuaire dédié a un saint ou dans la maison
familiale d'un adepte.
Mais la Lila ne représente pas l'intégralité des rituels thérapeutiques comme l'on peut
le croire. D'autres pratiques déjà évoquées comme la consultation divinatoire chez la
Maqaddema, le sacrifice d'un animal, le pèlerinage au sanctuaire d'un saint, la confection
d'amulette en font pleinement partie.
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- La constitution d'une confrérie -
On distingue trois groupes principaux qui participent chacun différemment au fonctionnement
de la confrérie.
1/ Le groupe des adeptes :
constitué de personnes frappées par les Mlouk et qui présentent des troubles physiques
et psychologiques. Ces troubles de nature le plus souvent névrotique ou psychotique sont
interprétés par les Gnaoua comme étant une forme de possession de l'individu par un
génie-maître.
Une fois le génie identifié, l'initiation va consister à établir entre l'adepte et son
Melk une relation stable afin d'en faire un allié.
2/ La voyante ou Moqaddema :
Ce rôle est souvent tenu par une femme. La vocation est soit héréditaire, soit acquise
suite à un rêve ou à une vision leur révélant leur vocation.
Leur rôle et essentiel dans le processus de guérison et leurs obligations contraignantes.
Chef d'une Taïfa, cercle de ses patients, elle doit accomplir avec eux des pèlerinages,
des sacrifices rituels et organiser les cérémonies.
Cette voyante thérapeute, en permanence en relation avec les entités surnaturelles, est
une possédée rituelle qui peut à tout moment être ravie ou tourmentée par les Mlouk.
Elle est consultée à son domicile dans une pièce réservée et peut être secondée par une
assistante, l'Arifa. Celle-ci peut par exemple servir d'intermédiaire entre le patient
et la voyante quand, étant en état de possession divinatoire (son génie-maître parlant
par sa bouche) cette dernière débite un langage non interprétable par un néophyte.
3/ Les musiciens :
lors d'une cérémonie rituelle, seul le Maallem a le pouvoir d'invoquer les génies et
d'amener ainsi, à l'aide de son Guenbri (luth à trois cordes en boyaux de chèvre et à
table d'harmonie en peau de chameau), les adeptes à la transe.
Il est accompagné de quatre à dix joueurs de crotales (sorte de castagnettes en métal
aux deux extrémités en forme de cupules circulaires reliées par une partie plate) et
d'un assistant, le Zoukay, qui le seconde durant toute la cérémonie.
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Le déroulement d'une Lila :
Dans l'après-midi qui précède la cérémonie, a lieu le sacrifice rituel d'un mouton.
Des invocations dédiées au Prophètes et à Sidna Bilal sont interprétées alors que le
sacrificateur égorge l'animal et récupère le sang dans un bol, symbole de la nourriture
offert aux génies.
S'en suit un repas cérémoniel jusqu'à la tombée de la nuit, moment où débutera proprement
dit la Lila.
Celle-ci peut se décomposer en trois étapes, chacune entrecoupées d'une pause durant
laquelle l'on se désaltère, mange et fume du kif.
" L'Aâda ":le cortège est sans doute le moment le plus important d'une Lila car
sans lui "la porte des couleurs ne serait pas ouverte et les esprits ne pourraient pas
circuler".
Vers minuit, les adeptes, puis le Maallem et son groupe sortent du domicile et entament
une procession dans les rues de la ville.
Le maître musicien et son assistant se sont emparé des T'Bel (tambours) et sont
accompagnés par les crotales. Ils chantent " l'aafou ya moulana " (délivre-nous Seigneur)
comme invocation à la guérison thérapeutique et spirituelle.
La Moqaddena et l'arifa promènent un brasero où brûle l'encens et aspergent
les adeptes d'eau de fleurs d'oranger.
Des jeunes filles ferment le cortège en tenant des bougies.
"L'ougba et nagcha" constituent la partie profane de la Lila.
C'est une mise en condition pour l'assistance et les musiciens. L'ambiance y est détendue.
Les chants de l'ougba évoquent le Prophète Sidna Mohammed, les ancêtres et le Soudan.
Les musiciens battent des mains et des pieds et dansent en reculant puis avançant
face au Maallem.
Pendant la nagcha, les crotales font leur apparition et les joueurs évoluent souvent en cercle au milieu duquel, à tour de rôle, chacun vient exhiber ses qualités de danseurs et pratiquer des sauts spectaculaires.
Les "Treq" :
Ce sont les parties sacrées de la Lila durant lesquelle sont invoqués
par cohortes successives les génies des sept couleurs.
Son début est marqué par des fumigations de jaoui qui circulent parmi
les musiciens et dont se sert le Maallem pour sacraliser son guenbri.
L'introduction de cet encens brûlé, qui instaure la structure même du rituel,
sera respectée scrupuleusement sous peine de mécontenter les génies.
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La Moqaddema apporte sur un couffin les sept voiles de couleur associés aux sept
cohortes des génies à invoquer ainsi que les encens correspondants.
Après une suite d'offrandes dédiées au Maallem et à la Moqaddema les
invocations se succèdent dans un ordre qui peut varié d'une confrérie à l'autre.
La transe :
Pendant la cérémonie, le Maître interprète différents groupes de chants,
chacun d'eux associés à une couleur et à un esprit jusqu'à ce que l'on découvre
la couleur qui fait enter le patient en transe.
Le Guenbri, instrument central, contribue à l'invitation lancée aux saints
et aux Mlouk et conduit à la transe.
A chacune des sept cohortes correspond une devise musicale et la fumigation
des encens appropriés. De plus à certains Mlouk sont associés une danse
de possession, une nourriture et des accessoires spécifiques.
C'est par l'addition de ces éléments qui mobilisent tous les sens et par le
respect d'une lithurgie propre à ce rituel que les génies pourront être invoqués.
Pendant l'invocation de son génie-maître, l'adepte va se sentir attiré par une
force irrésistible vers l'aire de danse. La moqaddema le couvre alors du foulard
correspondant à la couleur appropriée et l'asperge abondement de fulmigations de
Jaoui.
Les mains tremblantes, le corps secoué par des convulsions qui le mènent d'avant
en arrière au rythme des crotales, il commence une danse de possession,
devenant pour un instant la " monture " de son génie.
Une fois ce dernier rassasié, il s'échappe du corps de l'adepte qui s'écroule
subitement pour se réveiller secondairement demi-conscient, sans souvenir des
actes et des cris commis pendant la transe.
Après, l'adepte se sent spirituellement soutenu et plus apte à faire face aux
vicissitudes quotidiennes.
Aux esprits trop cartésiens d'accepter qu'il ne s'agit pas là d'hypothétiques
simulations, mais bien d'une réalité qui peut nous échapper !
Références bibliographiques
Cet article sur la musique et les rituels Gnaoua a été réalisé à partir du
livret de l'album CD "Héritage musical des Gnaoua d'Essaouira",
réalisé par
Ananda Garcia.
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Réalisation et conception :
Pierre-Olivier Nicod : programmation, interface, charte graphique et bannière
Guy Nicod
: graphismes, textes, cartes, photos et enregistrement audio.
Tout droits réservés
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